■ À YOM KIPPOUR, le jour le plus solennel du calendrier hébreu, on lit l’histoire d’un gros poisson dans les synagogues. Tout en jeûnant, en confessant leurs péchés et en réfléchissant aux paroles de Moïse et d’Ésaïe, les adorateurs écoutent une fois de plus le récit d’une prise et d’une libération étonnant au point que personne ne le croirait s’il ne se trouvait pas dans la Bible.

De tous les articles qui auraient pu être choisis en vue du jour saint le plus respecté de l’année, quelqu’un a instauré la tradition de la lecture du livre de Jonas. Pourquoi ? Pourquoi les Juifs lisent‑ils l’histoire du prophète récalcitrant qui a fui Dieu, s’est fait avaler par un gros poisson et s’est fait ensuite miraculeusement relâcher en vue d’accomplir une mission périlleuse visant à sauver une nation devenue aujourd’hui l’Iraq ?

Les rabbins donnent des raisons différentes pour expliquer qu’ils lisent le livre de Jonas le jour que l’on appelle couramment la Fête du Grand Pardon. Un professeur en Israël dit que l’histoire de Jonas porte davantage sur la repentance de Jonas que sur le fameux poisson. Selon certains, Jonas prouve que personne ne peut échapper à la présence de Dieu, et que l’on tente donc en vain de fuir le Tout‑Puissant. D’autres croient qu’on lit le livre de Jonas à Yom Kippour dans l’espoir que les auditeurs tireront des leçons des erreurs de Jonas. Un rabbin a dit que « Dieu se soucie de tout le monde. Jonas ne se soucie que de lui‑même. Dieu gagne. »

Chacune de ces explications a du sens, mais c’est la dernière qui m’intrigue le plus. Après tout, l’histoire de Jonas est celle d’un homme entêté et égocentrique qui s’est réjoui de recevoir la miséricorde de Dieu lorsqu’il se croyait en train de mourir dans le ventre d’un gros poisson (2.9). Par contre, il ne voulait rien savoir d’un Dieu « compatissant et miséricordieux » envers les ennemis d’Israël (4.2).

Toutefois, avant de jeter la pierre à Jonas, réfléchissons à Ninive.

À l’époque de Jonas, Ninive était la capitale en pleine croissance du grand Empire assyrien. Ses soldats étaient réputés pour torturer leurs prisonniers de guerre. Les rumeurs au sujet des atrocités auxquelles les Assyriens se livraient étaient alarmantes au point que les victimes se rendaient souvent sans se battre.

Voilà le peuple auprès duquel Dieu a envoyé Jonas, en lui disant : « Lève‑toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle ! car sa méchanceté est montée jusqu’à moi » (1.2).

L’une des surprises que recèle l’histoire de Jonas est celle‑ci : lorsqu’il finit par crier le message de Dieu dans les rues de Ninive, toute la ville se repent. Même les animaux seront couverts de sacs lorsque le roi des Assyriens aura déclaré comme un prophète : « Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, qu’ils crient à Dieu avec force, et qu’ils reviennent tous de leur mauvaise voie et des actes de violence dont leurs mains sont coupables ! Qui sait si Dieu ne reviendra pas et ne se repentira pas, et s’il ne renoncera pas à son ardente colère, en sorte que nous ne périssions point ? » (3.8,9.)

Au grand étonnement de Jonas, ses pires craintes se concrétisent. Dieu se montre miséricordieux envers les ennemis d’Israël en les voyant se repentir. Jonas en est furieux. Comme si son peuple et lui étaient les seuls à mériter une certaine chose, Jonas se plaint : « Ah ! Éternel, n’est‑ce pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et qui te repens du mal. Maintenant, Éternel, prends‑moi donc la vie, car la mort m’est préférable à la vie » (4.2,3).

C’est alors que l’histoire prend un tournant encore plus étonnant. Tandis que Jonas est assis là, hors de la ville, à attendre de voir ce qui se produira, Dieu fait pousser une plante pour lui donner de l’ombre. Jonas lui en est reconnaissant. Ensuite, Dieu envoie un ver pour qu’il tue la plante. Celle‑ci sèche, laissant Jonas non seulement en nage sous le soleil du Moyen‑Orient, mais aussi en rage contre Dieu. Les dernières paroles de Jonas indiquent qu’il n’a aucunement changé d’attitude. Il est d’ailleurs dans une colère telle que le Seigneur lui demande : « Fais‑tu bien de t’irriter à cause du ricin ? » À cela, Jonas répond : « Je fais bien de m’irriter jusqu’à la mort » (v. 9).

Jonas s’est réjoui de recevoir la miséricorde de Dieu lorsqu’il se croyait en train de mourir dans le ventre d’un gros poisson. Par contre, il ne voulait rien savoir d’un Dieu « compatissant et miséricordieux » envers les ennemis d’Israël.

À la fin de l’histoire de Jonas, Dieu n’a d’autre recours que de secouer la conscience d’un homme qui se soucie davantage de la plante qui lui donnait de l’ombre que du peuple de Ninive qui avait besoin de miséricorde.

C’est d’ailleurs là que l’histoire de Jonas se serait terminée si ce n’était de la possibilité que, depuis lors, d’autres tirent des leçons de ses erreurs. Qu’en est‑il de nous ? Le prophète maussade pourrait‑il nous aider à faire d’aujourd’hui notre propre jour de repentance en nous rappelant que Dieu se soucie de tout le monde ? Nous avons tendance à ne nous soucier que de nous‑mêmes, mais avec ou sans nous, Dieu aura gain de cause en définitive.

Depuis le début, Dieu avait des intentions plus nobles que celle de permettre à une seule grande famille de jouir d’un pays où coulent le lait et le miel. Il a déversé son amour sur son « peuple élu » pour une raison qui transcende considérablement ce dernier. Enveloppé de l’amour de Dieu, ce peuple a été appelé à apporter au monde entier la nouvelle de la miséricorde, de la patience et de la compassion de Dieu envers les cœurs repentants.

Lorsque Jésus est entré dans le monde, certains chefs religieux influents semblaient avoir oublié la mission que Dieu avait confiée à Israël. À l’instar de Jonas, ils considéraient les non‑Juifs comme impurs, intouchables et indignes de la miséricorde de Dieu.

Bien malgré eux, ces moralisateurs religieux ont rendu une excellente imitation de Jonas. Même s’ils en étaient inconscients à l’époque, ils en voulaient au Dieu qui désirait user de miséricorde envers leurs ennemis.

Qu’en est‑il de nous ? Ressemblons‑nous parfois étrangement à Jonas ? Cela pourrait‑il nous arriver encore une fois en ce moment ? Si c’est le cas, faudra‑t‑il un « gros poisson » pour nous faire changer d’attitude ? Ou encore, sommes‑nous prêts à faire du moment présent et d’aujourd’hui notre propre moment et jour de repentance ? ■

Père céleste, je vois Jésus et Jonas en moi. L’un d’eux se soucie de tout le monde, l’autre ne se soucie que de lui‑même. L’un d’eux est mort pour moi, l’autre me tue sans cesse. Je te prie de renouveler en moi dès maintenant un cœur épris de repentance et du désir de te laisser aimer les « Assyriens » pour qui ton Fils a donné sa vie.